La coopération est plus que jamais nécessaire. Elle est au cœur de la vie et elle est essentielle pour relever les défis auxquels nous sommes confrontés dans un monde marqué par la concurrence et l’individualisme.
La coopération ne va pas de soi. Elle s’apprend.
Les livres qui en parlent et qui proposent des ressources pour la développer ne sont cependant pas si nombreux.
J’aimerais en évoquer ici trois. Chacun d’eux propose des éléments concrets, utilisables dans toutes sortes de situations. Je les ai lus il y a quelques années déjà et je n’ai jamais oublié leurs apports. Ils m’ont inspiré dans ma pratique de facilitation de la coopération et ils ont souvent aidé les personnes et les équipes que j’ai accompagnées.
1. Les six chapeaux de la réflexion par Edward de Bono (Eyrolles, 2005)
Auteur de très nombreux ouvrages, E. de Bono s’est intéressé notamment à proposer une méthode pour faciliter le travail en équipe. Dans les réunions, les approches traditionnelles sont souvent peu productives, limitées notamment par la place excessive prise par l’argumentation et la critique (pensée « réactive »). De Bono propose une méthode de pensée dite « parallèle » pour dépasser ces écueils. Elle permet d’organiser la réflexion selon six points de vue – ou modes de pensée – qu’il symbolise par des chapeaux de couleurs différentes.
La clé de la méthode consiste à inviter les personnes à s’exprimer ensemble, dans le même chapeau de pensée. Tout le monde chemine ainsi de concert dans la réflexion.
Quels sont ces six chapeaux ?
Chapeau blanc
Les faits : partager des informations avec un maximum d’impartialité et d’objectivité.
Chapeau rouge
Les émotions : exprimer ses sentiments, émotions, intuitions, pressentiments, impressions (vécus ici et maintenant).
Chapeau vert
La créativité : manifester une pensée créatrice, des idées et perceptions nouvelles ; se libérer du carcan des notions reçues pour créer de nouvelles perspectives au-delà des schémas établis.
Chapeau jaune
Les avantages : exprimer une pensée optimiste et des évaluations positives.
Chapeau noir
Les risques, les inconvénients : exprimer ce qui cloche, des évaluations pessimistes ou négatives ; présenter des éléments critiques et des risques d’échec possibles.
Chapeau bleu
La prise de recul : établir le plan de réflexion, organiser l’utilisation des différents chapeaux ; mettre en perspective, synthétiser les réflexions.
Au cours d’une réunion, ces six chapeaux peuvent être tous… ou quasiment tous… sollicités… mais successivement.
Ils sont aisés à comprendre et il s’avère assez facile de passer de l’un à l’autre en conscience.
La méthode comporte plusieurs avantages.
- En premier lieu, elle valorise une réflexion selon différentes perspectives, qui est bien souvent nécessaire, ne serait-ce que pour analyser ou envisager plusieurs scénarios avant une prise de décision.
- Cette méthode permet de travailler ensemble, dans la même direction, ce qui évite la confusion dans les échanges et accroît la qualité de la réflexion. Comme le dit E. de Bono : « Jongler avec six balles est difficile. Lancer une seule balle, c’est incontestablement plus simple ».
- Elle permet de reconnaître la valeur de chaque apport, pour peu qu’il soit fait au bon moment.
- Elle aide à focaliser la communication et limite les paroles centrées sur soi.
La méthode a l’avantage de la simplicité. Elle comporte aussi une limite : parfois, d’autres modes de pensée peuvent s’avérer utiles que les six proposés par de Bono. Par exemple, il peut être nécessaire d’analyser, d’explorer, de comprendre les tenants et aboutissants d’une situation…. avant de venir en chapeau vert proposer des idées.
Le livre présente cette méthode avec des exemples de manière très convaincante. L’essayer c’est l’adopter ! Les résultats sont rapidement visibles.
2. Comment réussir une négociation de Roger Fisher et William Ury (avec Bruce Patton ; Seuil, 2006)
Non moins pratique, cet ouvrage propose une méthode efficace pour gérer des situations conflictuelles qui contribue à des relations durables. Développée dans les années 80, elle est devenue une référence aussi bien pour des communications de la vie quotidienne que pour des conflits en politique internationale par exemple.
Pour arriver à de bons résultats, il s’agit d’être résolu sur le fond et conciliant dans la communication. Les auteurs proposent cinq principes sur lesquels repose la négociation raisonnée ou gagnant-gagnant.
1. Traiter séparément les contentieux personnels, les blessures réciproques et le contenu du différend
Bien souvent, les aspects émotionnels, de même que les perceptions subjectives et les problèmes que l’on a pour s’écouter, s’ils ne sont pas reconnus, clarifiés et « nettoyés », empêchent d’aborder efficacement le problème à résoudre.
2. Se concentrer sur les intérêts en jeu et non sur les positions défendues par chaque partie
Les personnes se battent généralement sur des positions…. qu’elles devront abandonner un jour ou l’autre. Démarche vaine. En revanche, elles peuvent rendre transparents leurs besoins et les faire valoir un maximum.
3. Imaginer, élaborer un grand éventail de solutions avant de prendre une décision
Souvent les personnes en conflit sautent sur la première solution qui paraît acceptable. Il importe de prendre du temps pour rechercher un maximum de solutions avant d’en choisir une qui permette de satisfaire au mieux les besoins et intérêts présents de part et d’autre.
4. Exiger que le résultat repose sur des critères objectifs élaborés durant la négociation
La solution choisie doit reposer sur des critères aussi objectifs que possibles. Si l’on veut un résultat durable, il faut éviter que les partenaires se mettent d’accord sur une solution inéquitable.
5. Valoriser autant que possible la coopération, la recherche d’une solution gagnant – gagnant et… élaborer avant la négociation sa meilleure solution de repli, pour le cas où…
Le résultat d’une négociation peut être jugé positif s’il est clair, s’il est réalisable et si les deux parties sont gagnantes. Il importe de pouvoir mobiliser une solution de repli si la négociation échoue à trouver une option gagnant-gagnant ou si la partie adverse refuse la négociation.
Les auteurs montrent que cette approche est utilisable même dans des situations difficiles (prise d’otages par exemple ; William Ury développe d’ailleurs des exemples et des stratégies à ce propos dans un autre livre tout aussi passionnant : Comment négocier avec les gens difficiles ? De l’affrontement à la coopération, Seuil, 1993).
Ces cinq principes aident d’une part à se préparer pour une négociation et d’autre part à la conduire de manière efficace. Si l’approche de la coopération peut être exigeante en termes de temps, énergie et travail de communication, elle permet des solutions durables avec la satisfaction des besoins prioritaires de chaque partenaire.
Ce livre très clair se lit facilement et il est aisé de faire des liens avec son quotidien. Ensuite, il s’agit de ne pas oublier d’en appliquer les principes ! Combien de fois je suis resté sur des positions et la relation s’est enlisée ? Alors que j’aurais pu me concentrer sur les besoins et intérêts sous-jacents : m’intéresser à ceux de l’autre partie et exprimer les miens. Combien de fois j’ai mis en avant les inconvénients de la première solution apportée plutôt que d’ouvrir l’éventail des possibles ?
3. Du débat au dialogue par Deborah Flick
(ce livre n’a à ma connaissance pas été traduit en français ; voir From Debate to Dialogue: Using the Understanding Process to Transform Our Conversations. Orchid Publications, 1998)
Ce troisième livre est tout aussi apprenant et limpide que les deux premiers. Deborah Flick décrit et met en perspective les processus caractéristiques d’un dialogue (orienté vers la compréhension mutuelle) par rapport à une discussion conventionnelle (orientée vers le débat).
Elle propose des repères pour développer une culture du dialogue comme une alternative au débat. Elle souligne que le débat peut être utile dans des buts et des contextes spécifiques (par exemple pour décider rapidement d’un choix entre deux ou trois propositions). Elle relève cependant combien l’habitude de chercher à avoir raison (en argumentant et en critiquant, sans s’intéresser à comprendre vraiment d’autres points de vue) peut être limitant.
Cinq éléments clés nourrissent le dialogue :
1. Ecouter en accueillant ce que dit l’autre sans jugement ni interprétation
2. Apporter un reflet, un vécu, sans être dans la réaction ou la critique
3. Être curieux de ce que l’on peut apprendre, des différents points de vue et perspectives possibles
4. Poser des questions de manière ouverte, pour clarifier et approfondir sa compréhension, s’intéresser au vécu de l’autre sans chercher à mettre en avant ses propres préférences
5. Apporter son point de vue comme un point de vue parmi d’autres, sans chercher à le défendre ou l’imposer ni vouloir montrer les aspects discutables du point de vue de l’autre
Le dialogue vise une compréhension, un apprentissage en commun, habité par l’ouverture sur différentes perspectives.
Le débat, lui, vise la défense d’un point de vue, la mise en avant et l’évaluation de « la bonne » perspective. En contraste avec le dialogue, dans le débat, on cherche à affirmer sa position, chercher les erreurs dans les propos de l’autre plutôt que s’intéresser à ce qu’il peut nous apprendre et l’écouter.
Deborah Flick précise qu’accueillir ce que les autres personnes partagent ne signifie pas forcément que l’on est d’accord avec elles. Cela indique que l’on privilégie, à un moment donné, une pluralité de perspectives. On recherche une compréhension (des autres et de soi) et l’on porte son attention à tout ce qui traverse la conversation et qui peut en émerger.
Les repères proposés par Deborah Flick permettent de réfléchir aux modalités de communication que l’on veut favoriser. Par exemple :
- Est-ce que l’on veut communiquer pour explorer la nature d’un problème ou d’un défi auquel on est confronté ? (dialogue)
- Est-ce que l’on veut communiquer pour décider rapidement d’une action à mener ? (discussion – débat)
Les avantages du dialogue sont nombreux. Il permet de garder le lien avec quelqu’un avec lequel on est en conflit et de communiquer même si on a des positions différentes, voire opposées. Il donne la possibilité de construire une coopération dans laquelle la diversité des points de vue est explorée et reconnue. Il ouvre des espaces créatifs insoupçonnés.
Développer un dialogue requiert cependant plusieurs éléments, qui ne sont pas si faciles à mettre en œuvre. Le premier d’entre eux est sans doute l’écoute empathique. Une écoute active va de pair avec la capacité à suspendre ses idées, son avis pour aller à la rencontre d’autres points de vue. Il importe également que l’on puisse s’exprimer de manière authentique (ce qui nécessite sécurité et confiance) et que l’on soit ouvert à explorer, voire questionner ses propres façons de voir les choses. Cela requiert également l’aménagement d’un cadre, d’un espace de dialogue. Parfois, la présence d’une personne capable de faciliter le processus peut s’avérer nécessaire.
Dans une équipe par exemple, une culture du dialogue peut être plus ou moins longue à construire. Les habitudes acquises contribuent à ce que la discussion – débat prenne souvent le dessus. On pense que l’on n’a pas le temps pour dialoguer. Or le temps que l’on a consacré au dialogue est souvent regagné au moment de la décision, qui est facilitée par la compréhension partagée des enjeux de la situation. Le dialogue procure par ailleurs un sentiment de compréhension mutuelle qui satisfait des besoins humains fondamentaux.
Les distinctions proposées dans ce livre sont très parlantes. Il offre des repères concrets pour favoriser le dialogue. A sa lecture, j’ai fait le lien avec tellement de situations vécues dans lesquelles le débat a rongé la place du dialogue. En gardant à l’esprit et en partageant les éléments clés du dialogue, on peut préserver et ouvrir les espaces de coopération nécessaires.
Cet article participe à l’évènement “Les 3 livres qui ont changé ma vie” du blog Des Livres pour changer de vie. Ce blog propose des centaines de résumés de livres extrêmement bien faits.
En lien avec la coopération et la communication, j’apprécie entre autres les résumés des ouvrages de Marshall Rosenberg : Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs)
et de Daniel Goleman : L’intelligence émotionnelle.
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